1. Apprendre du passé

ZONE X

Creuser sur et sous l'eau


MONTRÉAL, Canada, 1962-1967

Le projet du pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine ne date pas d'hier. L'idée même de relier Montréal et Longueuil par un tunnel ferroviaire avait été proposé dès 1883. En 1912, une étude de faisabilité avait été demandée, mais c'est le Pont Jacques-Cartier qui a finalement vu le jour. En effet, c'est en 1949 que le gouvernement du Canada décide de construire un route Transcanadienne. On décide alors de passer sous le fleuve et non au-dessus puisqu'un pont à cet endroit aurait nécessité des approches très longues et très hautes pour permettre la circulation des navires sur le fleuve St-Laurent. Ces approches auraient ainsi nécessité de détruire des quartiers importants. En pleine Guerre Froide, le tunnel peut aussi être utilisé comme abri en cas d'attaque nucléaire. 

La section tunnel comporte deux tubes de trois voies entre lesquels se trouve une section centrale pour abriter les systèmes de drainage, de ventilation et d'éclairage. Cette ventilation, elle est importante puisqu'il faut absolument évacuer les gaz d'échappement des véhicules et les gaz possiblement dégagés par un incendie en cas d'accident routier. Le défi est colossal. Sa longueur est de 6 km. 1,5 km se trouve sous plus de 20 m d'eau. Le tunnel avait été fait de sections préconstruites déposées dans le fond du fleuve, une méthode nouvelle qui avait été proposée par un jeune ingénieur nommé Armand Couture qui avait travaillé sur un tunnel utilisant cette méthode à Vancouver plus courante dans les pays scandinaves. Cette méthode permet de creuser moins profondément que si on avait choisi de creuser dans le roc. Avec un peu plus de 20 m d'eau dans sa partie la plus profonde, les contraintes de compressions sont pourtant importantes. Le courant du fleuve et les glaces printanières sont aussi des défis supplémentaires. 

Chaque caisson est construit sur l'île Charron dans une cale sèche. Comme pour la construction de navire, ceux-ci sont construits à sec, mais dans un large aménagement pouvant être rempli d'eau. On fait ensuite flotter les sections jusqu'à l'endroit où ils seront immergés dans dans la tranchée préalablement creusée au fond du fleuve. Les caissons sont donc des espèces de boites fermées qui sont en mesure de flotter malgré leur poids (32 000 tonnes). La descente est contrôlée par 8 verrains d'échouement. C'est une manœuvre extrêmement difficile à cause du courant qui nécessite une grande précision. On assure ensuite l'étanchéité entre la section descendue et la section qui avait été posée avant elle et on enlève la paroi entre les sections. Du sable est placé sous la structure pour bien assoir le tunnel et de la pierre est placé au-dessus pour s'assurer que les bateaux n'endommagent pas le tunnel. 

Le béton utilisé est aussi particulier. Ses composantes ont une résistance chimique et ne réagit donc pas avec les acides ou les sels, assurant une plus grande durabilité. Le béton est couvert d'un enduit bitumineux couvert par une fibre de verre pour rendre ses parois parfaitement étanches. Son espérance de vie est estimée à 100 ans. L'ingéniosité de cet infrastructure a dès sa construction rayonné partout à travers le monde. Il a été inauguré le 11 mars 1967,  à temps pour l'exposition universelle de 1967. 



COQUELLES, France à FOKELSTONE, Royaume-Uni, 1987-1993

Un tunnel de plus de 50 km construit sous la mer dont l'eau salée accélère la dégradation des matériaux ne se conçoit pas en criant ciseau.  Ici, on ne peut pas penser assécher la Manche entre la France et le Royaume-Uni. Si les projets liés à un tunnel sous la Manche ont émergés il y a bien longtemps, les travaux s'amorcent en 1987 et se terminent en 1993. Le défi est titanesque, notamment à cause de la pression engendrée par l'eau à une profondeur de plus de 100 m ! À cette profondeur, les contraintes de compression sont phénoménales. Le tunnel doit aussi savoir résister à certaines secousses sismiques puisque le Pas-de-Calais du côté français subit régulièrement des secousses. 


Le tunnel comporte trois tubes, dont deux sont utilisés pour le transport ferroviaire et le troisième est une voix de service. Pour éviter les pressions de l'eau, on choisit de plonger dans une couche de sol de craie bleue, une roche imperméable à l'eau. On règle une partie du problème puisque le sol n'y est pas gorgé d'eau. Contrairement à ce qui a été fait à Montréal, le tunnel a donc été creusé sous les fonds de la mer. Les tunneliers amorcent les forages des deux côtés dans le but de se rencontrer sous la mer. 

1 000 000 tonnes de béton est nécessaire pour la conception du tunnel sous-marin le plus long au monde. Les tunneliers utilisés ont été conçu spécialement pour ces travaux. La pression est monstrueuse et la progression de forage doit être rapide. Les tunneliers ont une longueur de 200 m et une masse de 100 000 tonnes. La structure creuse, expulse les débris vers l'arrière et conçoit la structure autour du tunnel. Elle coûte plus de 14 millions d'Euros et n'ont servi que pour ce forage. Elles sont 12 au total. 

Le béton utilisé est un matériau spécial pour faire face à la pression, mais aussi à l'impact de l'eau salée. Il est plus solide que le béton des centrales nucléaires. 

L'autre défi, c'est de s'assurer que les deux tunnels se rencontrent exactement au même endroit. Les courbes sont à éviter pour éviter un déraillement des trains circulant à haute vitesse. C'est réellement un défi de taille puisqu'il n'y a pas de point de repère. Finalement, cette rencontre entre Français et Britanniques se fait en 1990. Les ouvriers s'échangent des drapeaux pour fêter cette jonction. Le tunnelier britannique est enseveli sous le point de jonction. les deux tunnels sont décalés d'à peine 35 cm. 



BOSTON, États-Unis, 1991-2007

Toutes les grandes villes sont aux prises avec des problèmes de circulation automobile et Boston n'y fait pas exception. Entre 1991 et 2007, Boston se transforme et utilise son sous-sol pour régler une partie du problème. Le projet vise à faire plonger la route 93 sous le centre-ville et à créer un nouveau tunnel, la route 90, afin de rejoindre l'aéroport Logan de l'autre côté de la Charles River. Ce qui sera appelé le Big Dig, c'est une autoroute de 8 voies, c'est 14,6 milliards de dollars, c'est un défi d'ingénierie, mais aussi un défi organisationnel. Ici, le défi n'est pas seulement la longueur, mais aussi la largeur et le type de sol. Montréal n'avait pas à creuser. La France et le Royaume-Uni pouvaient utiliser la résistance du sol pour aider à retenir l'eau et les forces en présence, mais Boston n'a pas ce luxe. Pourtant, le Big Dig, ce rêve d'un gradué du MIT (Massachusetts Institute of Technology), Fred Salvucci, sera tout de même mis de l'avant malgré la complexité du projet. 


Les sections du tunnel qui passe sous le la rivière ont été conçu à Baltimore, puis transportées vers Boston et déposées dans une tranchée, un peu à l'image du tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine à la différence que celui-ci se poursuit sous la ville... et qu'il manque environ 90 cm à la partie sous-marine. La section sous la ville doit donc pallier à ce manquement, mais tout a un prix. Le tunnel passe aussi au-dessus du métro de Boston. Le poids de l'autoroute étant ce qu'il est, les ingénieurs ne peuvent risquer un effondrement dans le métro construit en 1914. Les ingénieurs enfoncent donc des piliers de part et d'autre du métro pour supporter le tunnel et créer une sorte de viaduc souterrain au-dessus du métro. 

Le tunnel passe ensuite sous les rails du réseau de train de Boston à travers un sol composé de remblais, un d'une multitude de types de sols qui n'offrent certainement pas une stabilité nécessaire à la construction d'une telle structure, et ce, sous un réseau de chemin de fer. Pour solidifier et stabiliser le sol, une solution s'impose : le geler. Ainsi, pour solidifier le sol sous les chemins de fer, on envoie de l'eau qu'on congèle. C'est donc la glace qui permettra de tenir le sol pendant la construction du tunnel. Pour réunir les sections, on les pousse avec d'imposants systèmes hydrauliques, atrocement lents, mais efficaces. En 8h, la section avance de moins d'un mètre. Cette première section le l'aéroport Logan jusqu'à l'échangeur est complétée. 

La seconde section, celle qui passe sous le centre-ville et qui doit remplacer l'autoroute aérienne qui ne peut être détruite durant la construction. Pour réussir ce nouveau défi, on crée un squelette externe qui permettra de soutenir l'autoroute aérienne pendant qu'on creuse le tunnel sous la structure. Ce squelette deviendra ensuite les murs du tunnel. Cependant, construire à travers le sol de Boston est complexe puisque la nappe phréatique est élevée. Comme nous l'avons vu avec le tunnel sous la Manche, il est complexe de creuser dans un sol gorgé d'eau. Une fuite a d'ailleurs été décelée, causant une inondation majeure dans le tunnel le 15 septembre 2004. Non seulement l'infiltration peut causer des effondrements, mais l'eau salée accélère la dégradation des métaux et autres matériaux. Il est découvert que le squelette avait des faiblesses dans le coulage du béton. Une inspection de la structure est évidement réalisée pour assurer la stabilité du tunnel. 

Le projet est l'un des plus complexes et des plus coûteux conçus aux États-Unis. Le tunnel émerge au-dessus de la Charles River, tout juste à côté d'un célèbre aréna de hockey... Là où il y avait anciennement une autoroute aérienne, la ville de Boston a installé un long parc dont l'aspect sinueux rappelle le géant de béton qui fut un jour élevé en ces lieux.