Le néonationalisme québécois et la fédération canadienne
3. Le gouvernement canadien face au néonationalisme québécois
3.2. Les négociations pour le rapatriement de la Constitution
Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs gouvernements fédéraux cherchent à modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) pour accroitre le pouvoir de l’État canadien. Puisque la Constitution canadienne demeure sous la juridiction du Parlement britannique, le gouvernement fédéral doit procéder au rapatriement de la Constitution avant de pouvoir la modifier. Même si le gouvernement fédéral et les provinces canadiennes s’entendent sur le principe du rapatriement, ils ne s’entendent pas sur les conditions de ce rapatriement.

Dans les années 1960 et 1970, les deux paliers de gouvernements multiplient donc les conférences fédérales-provinciales dans l’espoir de parvenir à une entente. Lors de ces conférences, le gouvernement canadien propose de procéder au rapatriement de la Constitution avant de réviser la répartition des champs de compétence.
Au Québec, les gouvernements de Jean Lesage et de Daniel Johnson proposent l’inverse, c’est-à-dire de réviser la répartition des champs de compétence avant de procéder au rapatriement de la Constitution. Ces gouvernements veulent s’assurer que le Québec conserve ses pouvoirs, mais aussi que le gouvernement fédéral ajoute les pouvoirs résiduaires aux compétences provinciales et qu’il lui concède certains pouvoirs en matière de relations internationales. Le gouvernement de Johnson réclame aussi que le Québec soit reconnu comme une société distincte et que le document constitutionnel qui remplacerait l’AANB dote le Québec d’un statut particulier.
Le gouvernement fédéral refuse toutefois que le rapatriement de la Constitution conduise à l’élargissement des champs de compétence provinciaux et à l’octroi d’un statut particulier pour le Québec. Plutôt que de sanctionner les droits collectifs de la majorité francophone du Québec, le gouvernement fédéral propose de défendre les droits individuels, dont ceux de la minorité francophone du Canada. Pour ce faire, le gouvernement canadien de Pierre Elliott Trudeau suggère d’inclure une charte canadienne des droits et libertés de la personne dans la nouvelle mouture de la Constitution.
Lors de la conférence fédérale-provinciale de Victoria en 1971, le gouvernement canadien et les gouvernements provinciaux discutent d’une nouvelle série de conditions pour le rapatriement de la Constitution.
Les documents 19 à 21 présentent la position de trois acteurs sur la Charte de Victoria de 1971. Nomme l’acteur qui présente une position différente et compare sa position à celle des deux autres acteurs.
Commentaire de Robert Bourassa , premier ministre du Québec, prononcé à l’Assemblée nationale en 1971
« [...] ce fédéralisme doit être décentralisé pour refléter la diversité des régions de notre pays. Ce fédéralisme doit ainsi garantir aux provinces la liberté d'action nécessaire pour qu'elles assument pleinement leurs responsabilités à l'égard de leurs citoyens. Ce fédéralisme doit aussi permettre au gouvernement du Québec d'assurer l'avenir culturel de la majorité de sa population.
[...] Dans l'état actuel du dossier de la réforme constitutionnelle, le gouvernement du Québec ne peut toutefois pas faire une recommandation positive à l'Assemblée nationale en ce qui a trait à l'acceptation du présent projet de charte constitutionnelle. [...] Ainsi le gouvernement du Québec [...] ne peut accepter ce projet de charte constitutionnelle.
Source : Robert Bourassa , « Amendements à la constitution », Journal des débats de l’Assemblée nationale, Deuxième session, 29e législature, vol. 11, no. 64, 23 juin 1971, p. 2739, en ligne sur Assemblée nationale du Québec.
Commentaire de Pierre Elliott Trudeau , premier ministre du Canada, à la Chambre des communes en 1971
« On pourrait dire, à mon avis, que la charte représente un compromis acceptable, en ce sens que même si aucun gouvernement n’a obtenu exactement ce qu’il voulait, que chaque participant était convaincu que le Canada et les Canadiens seraient mieux gouvernés grâce à la charte. Telle étant la nature du compromis et, partant, de la charte, il est particulièrement décevant et regrettable que le Québec ait décidé de rejeter la charte dans sa forme actuelle. [...] Je suis persuadé qu’elle [la charte] constituerait un grand progrès pour le Canada. Elle fournirait aussi, je pense, un moyen d’adapter graduellement et progressivement notre constitution tout entière et de ménager à toutes les provinces et à l’ensemble du pays un avenir plus brillant. »
Source : Pierre Elliott Trudeau , « La constitution », Débats de la Chambre des communes, Troisième session, 28e législature, 25 juin 1971, p. 7317, en ligne sur Ressources parlementaires historiques canadiennes.
Extrait d’un article publié dans le journal torontois The Globe and Mail
« Il faut trouver un moyen de reconnaître les besoins particuliers du Québec pour que le Canada reste un pays uni, a déclaré hier le chef du Nouveau Parti démocratique, David Lewis. [...] M. Lewis a dit hier qu'il ne voyait pas comment M. Bourassa pouvait accepter les clauses de la charte portant sur la politique sociale parce que ces clauses étaient trop confuses. “En considérant la situation politique actuelle au Québec, je ne comprends pas comment les autres chefs de gouvernement [Premiers ministres des provinces] pouvaient s'attendre à ce que M. Bourassa accepte”. »
Source : Auteur inconnu, « Needs of Quebec must be met if nation to stay united : Lewis », The Globe and Mail, 28 juin 1971, p. 4, en ligne sur ProQuest Historical Newspapers: The Globe and Mail. Traduction libre par le Service national du RÉCIT, domaine de l’univers social.