La Révolution tranquille et l’émergence de l’État-providence
5. L’État québécois et le domaine politique
5.2. Les droits de la personne au Canada et au Québec
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies souhaite doter l’humanité d’un idéal commun qui permettrait d’assurer le respect de la dignité humaine à l’échelle planétaire. En 1948, les États membres de cette organisation internationale signent la Déclaration universelle des droits de l’homme, un document qui énonce une cinquantaine de droits et libertés indispensables au respect de la dignité humaine.
Inspiré par les valeurs universelles de ce document, le gouvernement conservateur de John Diefenbaker adopte la Déclaration canadienne des droits en 1960. En plus de défendre le droit à la vie, le droit à la sécurité et le droit à la propriété, la loi fédérale protège la liberté de conscience, la liberté d’expression et la liberté d’association des citoyens. Le gouvernement canadien ajoute toutefois une clause dérogatoire qui permet d’outrepasser cette loi et de ne pas respecter les droits de la personne dans certains cas. Cette disposition sera utilisée uniquement durant la crise d’Octobre de 1970.
Puisque la mise en application de la Déclaration canadienne des droits se limite aux champs de compétence fédéraux, les provinces élaborent tour à tour leur propre loi sur les droits de la personne. Adoptée en 1975, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec cherche notamment à défendre les individus contre la discrimination fondée sur le sexe, l’ethnicité, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap et l’âge. À l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les lois fédérale et provinciale sur les droits et libertés de la personne reflètent un changement dans les mentalités des sociétés canadienne et québécoise.
De plus, les gouvernements canadien et québécois élaborent des lois qui cherchent à répondre à la transformation des mentalités sur des enjeux spécifiques. Le gouvernement fédéral élabore notamment une loi omnibus pour modifier de nombreuses dispositions du Code criminel touchant la vie privée des individus. Adoptée en 1969, cette loi décriminalise entre autres la contraception et l’avortement thérapeutique ainsi que l’homosexualité, qui pouvaient jusqu’alors entrainer l’emprisonnement à vie.
Malgré ce changement sur le plan légal, plusieurs stéréotypes subsistent à l’égard des femmes qui choisissent l’avortement et des gais. Pour lutter contre ces préjugés, de plus en plus de personnes se regroupent au sein de réseaux informels et d’associations militantes qui porteront des revendications au-delà des années 1970. Au même titre que les acteurs gouvernementaux, ces groupes contribuent à la transformation des mentalités sur des enjeux comme l’égalité entre les hommes et les femmes et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Les documents 19 à 21 présentent les positions de trois acteurs sur l’avortement. Nomme l’acteur qui présente une position différente et compare sa position à celle des deux autres acteurs
Extrait d’un mémoire présenté par l’Association des bureaux médicaux des hôpitaux de la province de Québec au sujet du projet de loi modifiant le droit pénal en 1968
« Les médecins des hôpitaux du Québec croient que tout avortement est un homicide, car le fœtus est un être humain. [...] Si la loi est faite pour protéger les faibles, l'enfant qui est encore dans le sein de sa mère a droit plus que tout autre d'être protégé par l’État [...].
À cause des abus que ce projet de loi sur l’avortement peut apporter, l’Association des bureaux médicaux des hôpitaux de la province de Québec (ABMHPQ) s’oppose à la légalisation de l’avortement thérapeutique, dans les cas où l’unique motivation est la santé et le bien-être de la mère. L’ABMHPQ est contre le texte actuel du projet d’amendement C-195 et désire qu’il soit amendé afin d’en restreindre les indications aux cas de danger sérieux à la vie de la mère. »
Source : Les Directeurs de L’ABMHPQ, « Avortement : mémoire des médecins d’hôpitaux », Maintenant, août 1968, p. 204-206, en ligne sur Bibliothèque et Archives nationales du Québec, notice 000502125.
Extrait d’un article de revue écrit par le religieux jésuite Marcel Marcotte et publié en 1968
« [T]oute femme a droit de décider du nombre de ses enfants, mais la mise en œuvre de cette décision relève du contrôle des naissances, non de l'avortement; toute femme a pareillement droit d'user de son corps à sa convenance, mais le fœtus, au dire de la science, est un être humain indépendant, en cours de développement, et non pas une partie du corps de sa mère. Il s’ensuit que, si l’avortement peut être autorisé dans les cas les plus graves de péril pour la vie ou la santé de la mère, il ne doit jamais l’être pour de simples motifs d’ordre économique ou social, ou pour des raisons de commodité. »
Source : Marcel Marcotte, S.J., « Catholiques et non-catholiques devant l’avortement », Relations, no. 326, avril 1968, p. 110, en ligne sur Bibliothèque et Archives nationales du Québec, notice 0004875781.
Citation de Lise Payette, animatrice à Radio-Canada, en 1968
« Pour moi, la légalisation de l'avortement, c'est d'abord et avant tout une question de liberté. Je reconnais à la femme le droit de décider de la vie qu'elle porte dans ses entrailles. Elle doit pouvoir accepter ou refuser de donner naissance à un enfant. Et la société se doit de fournir à chaque femme les moyens thérapeutiques de faire ce choix sans courir le risque de se faire gratter l'intérieur du ventre à la petite cuillère. [...] [Il faut] donner à celles qui acceptent librement l'intervention chirurgicale la possibilité qu'elle soit pratiquée par un médecin reconnu, dans une institution adéquate. »
Source : France Demers, « L’avortement légalisé, bienfait ou désastre? », La Patrie, 17 mars 1968, p. 17, en ligne sur Bibliothèque et Archives nationales du Québec, notice 0000586549.
À partir du document 22, indique un changement dans le statut juridique de l’homosexualité.
Citation de Pierre-Elliott Trudeau, premier ministre du Canada, en 1968
« Tout ce que nous disons dans l'amendement au code pénal que nous proposons, c'est que ce qui se fera en privé entre deux adultes, que ce soit un homme et une femme ou pas, ça les regarde, ça regarde pas la police. Ça regarde la conscience des gens, ça regarde peut-être leur confesseur ou leur relation avec la religion, mais ça regarde par la police. C’est ce que nous disons donc. Nous n'autorisons pas l'homosexualité, nous disons simplement que nous n'allons pas punir, nous n'enverrons pas de police dans les chambres à coucher pour voir ce qui se passe entre adultes majeurs, consentants, en privé. »
Source : Débat des chefs, élection fédérale 1968, 9 juin 1968, Société Radio-Canada, 02:44-03:13. Licence : extrait utilisé avec la permission de la Société Radio-Canada.